Philosophie première : du « ceci est » au « je suis »
Toute la philosophie part de l’expérience de ce-qui-est. Et le jugement d’existence « ceci est » est au cœur de l’expérience. Il est en quelque sorte une « méta-expérience » : dans toute expérience, l’intelligence, à travers les sens, touche ce qui est. Ce jugement demande d’être explicité pour lui-même et donne naissance à une nouvelle interrogation : qu’est-ce que l’être ? Qu’est-ce que ce qui est, en tant précisément qu’il est ? Ce développement nouveau et ultime de la philosophie est ce qu’Aristote a appelé la « philosophie première » et que l’on a malheureusement ensuite appelé la « métaphysique ».
Qu’est-ce que l’être ?
Cette recherche s’éveille premièrement dans la ligne de la forme : qu’est-ce que l’être ? En effet, ce qui est, est dit « de multiples manières » : ses qualités, sa quantité, ses relations, etc. Et nous pouvons décrire et saisir toutes ces déterminations de ce qui est. Mais l’être ne se réduit pas à l’une ou l’autre de ses déterminations. S’interroger de cette manière conduit donc le philosophe à la recherche de ce qui est premier, principe propre de ce qui est en tant qu’il est : ce n’est ni le sujet « Pierre », ni la quiddité « homme ». C’est ce qui est source, à la fois du caractère existentiel unique de cette réalité dont nous affirmons « ceci est », et de sa détermination première. Cette première découverte de la philosophie première est celle de l’ousia-substance, principe et cause selon la forme de ce qui est.
Cette découverte inductive conduit à un regard nouveau sur la réalité dont nous avons l’expérience. Elle permet de distinguer la « substance » de tout ce qui est accidentel, second, et d’ordonner ainsi tous ces aspects dans la lumière du principe.
En vue de quoi ?
Mais la découverte de ce qui est premier du point de vue de la détermination ne satisfait pas totalement l’intelligence en quête de vérité : ce-qui-est n’est pas seulement déterminé, il porte aussi en lui-même un « dynamisme », un ordre vers un accomplissement de lui-même. En effet, le philosophe constate dans chaque domaine de son expérience une diversité d’états et l’ordre d’un état imparfait vers un état parfait, d’accomplissement.
D’autre part, l’expérience de l’amour suscite une question qui dépasse le niveau de l’agir moral et se situe au niveau de l’être même. Cette attraction qu’exerce ce qui est bon n’est pas accidentelle : qu’est-ce que le bien du point de vue de l’être ? Quelle est la fin de l’être, en vue de quoi ce-qui-est, en tant qu’il est, est-il ?
Cette nouvelle interrogation conduit à la découverte inductive de l’être-en-acte, principe et cause finale de l’être. Et dans cette lumière, la philosophie première distingue l’être-en-acte et l’être-en-puissance et développe une véritable connaissance analogique des diverses explicitations de l’être-en-acte : l’esse, acte d’être ; le vrai ; le bien ; l’opération vitale ; le devenir.
A la lumière de ces deux principes, nous pouvons expliciter l’un comme propriété de l’être.
La personne humaine
Enfin, il est capital de s’arrêter à un jugement d’existence qui a une qualité tout à fait nouvelle : « je suis ». La philosophie première seule peut aborder en toute vérité le problème de la personne humaine, modalité la plus parfaite de l’être dont nous avons l’expérience. La personne humaine, réalité à la fois sensible et spirituelle, n’est pas un nouveau principe d’être, mais le « comment » parfait de l’être pour nous.
L’analyse métaphysique précédente permettra au philosophe d’éclairer d’une façon très profonde toute la richesse de la personne, qui intègre dans son « je suis » toutes ces dimensions : autonomie substantielle d’être ; recherche de la vérité, qui la structure ; l’amour d’amitié, qui la finalise ; la prudence ; l’art ; le corps qui la conditionne substantiellement ; et enfin la recherche de la sagesse dans l’ouverture à la découverte d’une Personne première dans l’être.